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l’immortel

Je combattais le sommeil à six heures du matin. Je sentais de plus en plus sa main brutale violenter mes paupières et son bras garrotter mes tempes lorsque, machinalement, j’ai appuyé mes doigts sur ma tête. Alors j’ai senti, distinctement, ABSOLUMENT SENTI, le Sommeil s’enfuir, comme si, écrasé par la pression de mes doigts, il se laissait glisser entre eux.

J’ai appuyé plus fort et longtemps, jusqu’à ce que la fatigue ayant sans doute déplacé mes doigts, j’aie été vaincu une fois de plus. Mais mon sommeil en a été moins mortel et mon réveil presque, oui, presque heureux. Toute la journée j’ai eu une sensation pro­fonde d’allégement et de puissance.

27 mai — Hélas ! Je retombe dans l’abîme. Hier soir j’ai en vain cherché à retrouver ce lieu d’élection, ce centre du sommeil. Le retour à la vie a été ce matin plus douloureux qu’un écorchement ; une mise à vif de tous mes nerfs.

— 4 heures du matin — J’écris en ce moment le doigt appuyé sur le côté de la tête, au-dessus et un peu en arrière de l’oreille gauche, en un point que je ne veux point préciser exactement ici. Il ne faut pas encore que ma découverte soit connue. Plus tard, peut-être, lorsque ma fortune sera faite grâce à une activité que ne ralentira plus le sommeil, à un courage que n’atté­nuera plus l’horreur du réveil… Et encore.

Ah ! Ah ! voici que mon tour arrive !…

6 juin — Vaincu de nouveau ! La défaite est plus amère après la certitude du triomphe. Je suis sûr pourtant d’avoir trouvé le siège de l’ennemi, du Sommeil. Pendant quinze jours j’ai presque jugulé le Vam­pire. Mais chaque soir il me fallait une pression plus forte. Et chaque soir je sentais que le sommeil se cantonnait plus profondément. Et chaque matin le