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nocturne

Victoire !… Le phare maintenant était à droite, triomphalement porté par un long bras de terre, un bras qui lentement allait l’envelopper. Oh ! l’étreinte de cette terre, terre ferme, terre solide, dure au toucher, qui résiste, qui ne fuit point sous la poussée du bras ; où, si l’on se roule, on sent la tutélaire blessure des cailloux qui entrent durement dans la chair épanouie.

Il regarda la côte ; l’épouvante, une épouvante torpide et résignée monta en lui. La baie était immense ! Depuis des heures il nageait, depuis des heures et des heures et il était encore à… Ce qui restait à lui, de son corps, était gonflé de fatigue, hérissé d’épines douloureuses ; il se sentait maintenant figé dans une banquise fluide où seul le froid était matériel, solide, palpable.

« Je vais nager jusqu’à ce que le phare éclipse cette étoile tout là-bas près de l’horizon. Et puis… et puis… Allons toujours… »

Comme elle était lente à glisser, l’étoile constante du ciel, vers l’étoile inconstante du phare. Il n’avançait plus. Encore cinq brasses… Non… Jamais…

À quoi bon ! C’est la fin. C’est si bon de se laisser aller, de ne plus nager, de ne plus bouger ; de se laisser bercer doucement, de renoncer à un espoir dont l’aiguillon le blesse sans pouvoir galvaniser ses forces mourantes. Ne plus lutter, ne plus faire l’effort écrasant de soulever les bras ; mais tourner simplement le dos au vent pour que la bouche reste jusqu’à la fin libre de sel. Respirer un peu, doucement. Et puis… Comme c’est doux de mourir… Le repos… le repos… éternel…

Une sensation étrange, une sensation insolite, saugrenue ! Quoi donc ! Il a bougé le pied et il a senti, distinctement senti… quoi ? Il a senti… une douleur qui n’était pas une morsure, non, qui n’était même