Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.

37
l’héritage

Il sentit qu’elle était de ce pays la seule chose qui ne lui fut pas étrangère, la seule chose qui fut pour lui vivante, la seule qui fut amicale, la seule qui, sans que jamais jusque-là il s’en fût douté, lui était précieuse. La seule chose de cette terre qu’il eût voulu emporter en son cœur.

— Alors… viens-t-en ?

Il la vit hésiter un moment puis, se tournant, regarder encore la maison qui n’était pas la sienne, mais où elle avait si longuement vécu ; il songea que si elle y rentrait, ne fût-ce que pour y aller quérir quelque chose, cela signifierait qu’il partirait seul.

Mais elle se pencha seulement et attacha les cordons de ses souliers. Puis d’un geste soigneux elle fit de ses cheveux un nœud lourd et bas sur la nuque.

Ils partirent.

Ils ne firent halte que plus loin. Ils avaient marché sans rien dire près d’une heure et avaient atteint le sommet de la longue montée. Ils reprirent haleine un moment. Albert, debout, regardait vers l’est ; sa compagne s’était assise sur le sable, à l’écart du chemin.

Machinalement, elle traça d’un doigt malhabile : « albert », « la poune ».

Il baissa les yeux sur ce qu’elle venait d’écrire et elle rougit.

Alors doucement, du pied, il effaça : « la poune » et, se penchant, écrivit : « Marie ».

Ils se relevèrent.

Par un trou dans le dôme des nuages, un rai de soleil fusait sur eux. Ils regardèrent vers l’ouest, au loin. Au-dessus de Grands-Pins descendait une nuée grise, épaisse, lourde de pluie bienfaisante. Et dans les rayons obliques, on voyait onduler les longs voiles noirs de l’averse.