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l’héritage

— Ah non ! Moi, ça me fait un peu d’argent. C’est tout ce que j’ai, parce que chez les Vaillancourt ils ne me donnent rien. Je travaille pour ma nourriture et mon logement.

— Alors ?

Cette fois elle se retourna, les yeux brouillés. Il lui vit un visage changé, et pour la première fois s’aperçut, parce qu’il était éteint, combien d’ordinaire son sou­rire était lumineux.

— C’est des méchants, monsieur Albert. C’est des méchants, que je vous dis. Ils disent, ils disent…

— Qu’est-ce que c’est qu’ils disent ?

— … Ben, ils disent que vous êtes un malchanceux, pi que c’est vous qui avez apporté la malchance dans le canton. Ils disent… qu’il pleuvra pas tant que vous serez pas parti.

— C’est donc ça… Ouais… !

Par la porte ouverte, entra Pâtira qui se vint coucher aux pieds du maître. Celui-ci se pencha machinalement :

— Bon chien… ! Bon chien… !

— … Puis les Vaillancourt, ils m’ont dit que j’avais pas d’affaire à venir icitte.

Par la porte entrait le chœur triomphal et terrifiant des cigales annonçant une autre journée de chaleur, une autre journée de défaite.

— Ça a pourtant pas grand bon sens, reprit Albert. Puis il rit mais d’un rire de surface, comme une risée sur un lac insondable : Je sais bien que j’ai jamais été chanceux. Mais tu ne trouves pas, Marie, que ça n’a pas grand bon sens ?

La Poune hésita ; elle s’affaira à ranger son torchon pour ne le point regarder en face :