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l’héritage

« bête-puante » qui, acculée, s’était défendue avec ses armes habituelles. Un jet, et le chien s’était enfui affolé, suffoquant, cherchant à dépouiller cette effroyable puanteur qui adhérait à son poil ; se roulant dans la boue, se jetant dans les ruisseaux, sans pouvoir se libérer de cet opprobre.

Albert dut le chasser tant l’odeur était infecte ; le pauvre se réfugia dans la coulée profonde où courait le ruisseau, passant des heures dans un bassin à se purifier de son mieux, mais toujours revenant vers la maison. Si bien qu’on avait fini par le nourrir, puis l’accepter.

L’homme, qui jamais n’avait connu les bêtes, s’habituait à celle-ci. Et cela lui avait paru si anormal qu’il s’en était expliqué à la Poune, la seule personne avec qui il eut l’occasion de causer un peu.

— C’est drôle, la campagne tout de même. Oui, c’est drôle comme ça peut changer le monde.

— Ben sûr, on peut pas être pareil sur la terre comme en ville.

— Ben oui ! Qui est-ce qui aurait jamais dit que j’aurais un chien. Avec ça qu’il est pas ben beau…

— C’est vrai qu’il est pas beau…

— Ni ben fin…

— C’est vrai qu’il est pas ben fin.

— Mais quand même, il est pas fou ! Le soir quand je fume sur le perron, je lui parle. On a besoin de parler à quelqu’un.

La Poune était en train d’étendre le linge qu’elle avait blanchi un peu plus tôt. Elle pavoisait la corde tendue entre l’appentis et un jeune saule, se penchant sur le vieux panier pour y prendre les pièces ; puis les tenant à bout de bras comme un drapeau tandis qu’elle les fixait avec des épingles prises en la poche de son tablier.