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sept jours

des gens et si, surtout une présence insolite n’eût jeté sur tout cela le piment de l’extraordinaire.

Avec le beau temps venu, chacun reprit son assiette, oubliant le vent et l’orage avec cette facilité heureuse propre aux enfants et aux simples.

La Rivière-aux-Sangsues seule continua à s’agiter sur son lit de cailloux. Mais les cenelliers se couvrirent de fleurs roses dont les pétales tombaient dans l’eau mouvante. Les aulnes s’habillèrent de jaune, puis de vert. Sur le village continuèrent de régner les bonnes et mâles odeurs du pain frais et du bois menuisé.

À l’Hôtel du Nord, les chambres furent vides comme d’habitude ; cela importait peu tant que durait le permis de vendre de la bière, tant que restait ouverte la taverne.


LUNDI


Monsieur Lindsay est retourné au travail après sa semaine de vacances. Il a repris ses manchettes de lustrine et sa visière ; et il ouvre tout grand le plumitif de la Cour des Jeunes Délinquants où il est greffier adjoint. Il soupire.

— Et puis, monsieur Lindsay, vous avez passé des bonnes vacances ?

— De bonnes vacances ? J’pense bien ! Je suis allé dans le coin le plus tranquille ! Un petit village, pas très loin de Robertville. C’est extraordinaire comme on peut se sentir loin de tout, à vingt milles pourtant de Montréal. Pendant une semaine, je n’ai vu que des gens calmes, des visages amicaux et souriants. C’est un heureux endroit où il ne se passe rien, jamais rien.