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sept jours

Monsieur le Curé en avait pris un, pour voir si c’étaient là des romans convenables. Le notaire avait acheté le second pour distraire sa convalescence lors d’une jaunisse. Quant au troisième, il était toujours en montre, depuis deux ans, entre la dernière livrai­son de la Revue Moderne et les réclames de cigarettes.

Pour le service, elle alternait avec sa fille, une vingt ans délurée qui biglait, les ongles soigneusement émaillés au bout de mains douteuses qui prenaient à poignée les bonbons dans les boîtes où la chaleur les agglutinait.

Comme la boutique n’était pas loin de l’hôtel, c’était là que le jeune étranger achetait ses cigarettes. Il fumait une marque peu commune, distinguée. Et chaque fois la vendeuse se faisait liante, prête à laisser espérer beaucoup en retour de quelque confidence.

Le hasard voulut que vers midi, ce jour-là, madame Mongrain passât devant la boutique au moment même où s’y trouvait monsieur Lindsay. La vendeuse, Éva, était penchée sur le comptoir et souriait en louchant. La boulangère, sans tourner la tête, n’avait rien perdu du manège.


✽ ✽

Le soir, devant le poste de police où, chaque soir assis autour de l’unique agent, bonasse, les hommes se réunissaient pour fumer la pipe et blaguer, le ton fut différent de l’accoutumée ; il prit même de l’aigreur.

C’est que l’on discutait l’extension de l’aqueduc et le contrat que l’échevin avait, comme d’habitude, donné à son frère. Il y avait là un neveu du père Saint-Jean.