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l’héritage

était aux champs, le cheval attelé à la herse lorsque, levant les yeux, il aperçut quelqu’un près de la maison et qui regardait attentivement dans sa direction. Il en eut souleur. Mais non, ce n’était qu’une femme. Une femme ?

— Hééé… ! criait-elle.

— Ouééé… ! répondit-il.

Il arrêta son cheval et monta vers la maison tandis que sans hâte la femme descendait vers lui. S’appuyant à la barrière, elle attendit.

— Bonjour. C’est moi, la Poune.

— Bonjour… ?

— J’vas vous dire, du temps du vieux, je venais tous les matins faire son ménage.

— Ah !

— Ouais, je venais faire le ménage. Balayer la place, laver la vaisselle, faire le lavage. Il me donnait pour ça deux piastres par mois…

— Bon…

Albert, intrigué, regardait la Poune.

Pour lui, il n’y avait que deux genres dans l’espèce : les filles et les femmes. Les filles, celles qui portaient des bas de soie, du rouge aux lèvres et qui affichaient la jeunesse de leur poitrine ; celles-là on les pouvait accoster ; elles savaient répondre et rire et parler et entretenir la gaieté bruyante des soirs de paye. Et puis il y avait les femmes, désormais vouées à la maison, aux enfants, au ménage, au mari ; qui ne sortaient que le dimanche pour la messe et qui ne buvaient point de « fort ».

Tout cela était simple. Mais celle-ci n’entrait pas en des cadres si commodes. Des filles, elle avait la jeunesse et le visage souriant ; et la taille plus fine que n’aiment en général les paysans. Mais faute de