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cherait point expressément, sa situation géographique même lui dispense une atmosphère sereine.

Car le voisinage d’un grand cours d’eau ne peut manquer de donner aux villages un reflet animé, même s’ils ne participent pas au trafic qui y coule, affairé ; même si jamais ne s’y arrêtent les océaniques et les trains de péniches qui constamment frôlent leur clocher. Quant aux petites villes tassées au pied des monts, que ce soit Sainte-Agathe des Laurentides, ou Sherbrooke, près les Adirondacks, elles ne semblent point pouvoir s’évader de l’ombre issue de ces masses inhumaines.

Mais Saint-Julien échappe à l’influence de la montagne comme à celle du fleuve dont il est également loin. C’est à peine si, à quelques milles, le sol commence à esquisser les longs plis qui préludent à distance aux assises montagneuses. Et il faut bien une heure pour atteindre les quais de Montréal, leur fièvre et leur charbonneuse poussière. De rivière il n’y a, ici, que la Rivière-aux-Sangsues, tant plus jolie que son nom : un large ruisseau caillouteux où l’on ne prendrait guère, en pêchant toute la journée, que sa demi-douzaine de petites truites, et encore !

Le canton sur quoi règne sans prétention Saint-Julien en est un ni riche ni pauvre, de culture ni grande ni petite, et d’élevage en pâture fractionnée. Le village vit de la campagne à quoi il ressemble absolument, au contraire des villes dont l’empreinte se retrouve toujours à dix lieues à la ronde.

La paix des champs baigne les cinq rues bordées de maisons basses que des bardeaux noirs coiffent sans aucune coquetterie. Et indirectement soumis à la douce contrainte des choses de la terre, sous le dôme jamais enfumé du ciel, les gens vivent une existence limpide, bonasse et parfois souriante.