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le sacrilège

— Dites-moi, monsieur Lémann…

— Lémann, pas monsieur Lémann. Lémann, Lémann, encore une fois. Je vous prie.

— Très bien… Lémann… Je regarde ce que vous avez ici. Vous avez de belles pièces, vous collectionnez ?

Cette fois, le questionneur avait touché un déclic. D’ailleurs l’alcool, depuis tout à l’heure, avivait le regard de l’homme. Malgré la fraîcheur de la nuit, il avait enlevé sa chemise et montrait son buste semblable à un bronze de gladiateur ancien, aux muscles étonnamment durs, l’image de la santé et de la robustesse.

— Ah ! ça vous intéresse ? Vous savez, il y a de belles choses de ce côté. C’est même un peu pour cela que je suis venu à Vavaou. On m’avait signalé un vieil autel indigène de l’époque pré-coloniale, un maraé, quelque part sur la mer, de l’autre côté de la montagne. Je voulais y faire des recherches, oh ! en amateur, pour passer le temps. C’est là que j’ai trouvé le tiki qui est dans le coin, là, au fond.

Il montrait par-dessus son épaule un bloc noir que la lampe interposée empêchait de voir.

— Itiarii, prends la lampe.

La femme n’obéit point. Elle se recroquevilla comme une bête peureuse et baissa les yeux. De la main, elle ramena devant son visage et sa poitrine le voile opaque de ses cheveux dont la soie la vêtit toute. Elle dit d’une voix grave, un peu tremblante :

— Non… non… tayo Mémané, non… je ne veux pas.

— Elle a peur, dit Lémann. Elle a peur ! je vous dis. Superstitieuse comme toutes les sauvagesses.

Il y avait dans le ton un certain mépris, mais faussé par un accent de tendresse inavouée. Comment pouvait-il traiter ainsi de « sauvagesse » cet être merveilleux dont le corps splendide, libre de presque tout