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le sacrilège

ciel était sans étoiles. Le capitaine marchait en tête, suivant un imperceptible sentier sous les palmiers dont les frondes pourtant prochaines étaient invisibles ; si bien que le bruissement de leurs feuilles froissées par le vent de la montagne semblait la respiration des étoiles.

— Vous voilà ! dit une voix.

Bernier buta sur la première marche de la véranda ; le jet d’un projecteur de poche éclaira les autres. Lémann murmura quelques mots et le visiteur sentit quelqu’un le frôler. L’instant d’après une lampe s’allumait dans la case. Ils entrèrent.

Ce n’était qu’une pièce, mais grande et très haute. Les murs étaient presque entièrement recouverts d’immenses tapas, cette espèce de cuir fait d’écorce de pourao et sur lesquels couraient de curieux dessins géométriques. On devinait au mur des objets bizarres, indistincts. La lampe, au centre, était accrochée à un montant entièrement sculpté, du haut en bas. Il y avait deux chaises, une grande table, deux coffres, quelques tabourets grossiers ; et dans un coin, une sorte de cadre de bois couvert de nattes qui était le lit.

Mais les yeux étaient surtout attirés par la femme. C’était une indigène de ce type splendide qu’est le type tahitien, le plus beau du monde, peut-être. Un visage parfait, ferme et doux, le nez droit, une peau de miel brun, des yeux noirs lumineux sous la masse épaisse des cheveux onduleux qui descendaient en cataracte jusqu’aux genoux et flottaient, libres, parés d’une seule fleur de tiaré piquée sur l’oreille. Ce qui surtout saisit le touriste était qu’elle fut vêtue à la mode indigène d’autrefois que les missionnaires ont bannie. Elle ne portait point la robe longue à manches imposée par les mœurs étrangères. La princesse, car