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l’héritage

contentait de mettre en terre quelques milliers de plants qu’il avait au préalable fait germer sur son vieux poêle de fonte, pendant les jours vides de février. Mais quand arrivait le moment de transplanter ou d’édrageonner, il payait quelques journées à un fils de voisin ou à un chemineau. De même pour les heures précipitées du coupage.

Il était fier de son tabac, d’une espèce qu’il couvait jalousement depuis des ans et dont chaque année, avaricieusement, il recueillait la graine ; comme tout le monde, il ensachait sept ou huit plants qu’il laissait grandir, coiffés de leur sac de papier. Mais il avait des idées à lui. C’est ainsi qu’il soutenait mordicus qu’il ne fallait recueillir la graine que lorsqu’il faisait vent d’est !

Dans la cuisine où il était entré, Albert Langelier trouva les longues boîtes à semis. Tout avait péri ; il ne restait qu’une terre poudreuse et grenue, une terre morte, et là-dessus quelques fibres cotonneuses, tout ce qui restait du « fâmeux cannelle dépareillé ».

L’hiver avait rouillé le poêle autour duquel traînaient des boîtes de conserve vides ; il les poussa du pied et installa les siennes, pleines.

En entrant par derrière, l’entrée familière, on passait de la cuisine dans un vague salon à peu près nu, sauf deux fauteuils de crin éventrés et un buffet. Au mur, un vieux calendrier offrait aux yeux la page de février ; celle que le vieux n’avait pu arracher.

Des deux chambres du haut, Albert choisit la plus petite, la moins sombre. C’est celle-là que le vieux devait habiter, car le lit portait encore un drap froissé et, coulant par terre dans la poussière, une mauvaise couverture. Il sembla au nouveau venu qu’il serait moins dépaysé dans cette pièce où quelque chose montrait que l’on avait vécu.