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l’étranger

dompté. Je l’entendis murmurer non plus en anglais mais en une langue étrange. Cela finit par… « … Allah ! » puis il se tut. Il reprit même d’un geste machinal la pipe qu’il ralluma.

« Le silence était retombé, épais et lourd.

« Maintenant, je recommençais presque à douter, à me demander si je n’avais pas moi-même déliré tout à l’heure et si…

« — Oui ! c’est moi. » Il parla français cette fois, les lèvres collées aux dents. « Et après ? »

« — Comment, après ? Veux-tu m’expliquer… est-ce une plaisanterie ? Je suis… content de te voir. Mais… la surprise… Qu’est-ce que cela veut dire ? »

« La réponse me vint, lasse. C’était mot pour mot sa phrase de tout à l’heure :

« — À quoi bon ! Je ne crois pas que vous puissiez me comprendre. »

« — Mais, tu allais me laisser partir ainsi, sans te faire reconnaître ?

« — « Oui ». Il y avait dans sa voix une violence contenue qui sentait la haine. Il continua, comme à regret. « J’avais besoin de vous. Et aussi, — pourquoi pas, — je voulais vous voir sans que vous me voyiez, comme j’ai vu les autres. J’ai eu tort. Ce qui est écrit… »

« — Mais ta vieille mère, qui porte encore ton deuil… ?

« — Je l’ai revue, vous dis-je ; mais elle ne l’a pas su.

« — Mais alors, je ne comprends plus, je ne comprends pas », il y avait certes de quoi, « mais alors, pourquoi es-tu revenu ? »

« Il me répondit cette fois par une phrase que la suite devait éclairer.

« — Pourquoi je suis revenu ? Pour me guérir de tout cela.