Page:Ringuet - L’héritage, 1946.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.

10
l’héritage


✽ ✽

C’était bien lui.

Quand le vieux Baptiste Langelier était mort subi­tement, au mois de février, chacun s’était demandé à qui irait son bien ; car il était célibataire et sans parenté connue, ni dans le canton, ni, pour autant que l’on sût, plus loin ailleurs. Pendant quelque temps il n’avait été bruit de rien. Puis quelqu’un était venu de Saint-Alphonse, qui avait vu le notaire ; et l’on avait eu la nouvelle qu’il y avait un héritier, un homme de la ville, un nommé Langelier, lui aussi. Un cousin ?

Mieux que cela ! Petit à petit, l’histoire avait couru : ce Langelier, le nouveau, aurait été le fils, mais oui, le fils du vieux. Du vieux qui ne s’était jamais marié ? chuchotaient les uns ; le fils d’une femme que Baptiste avait épousée vingt-cinq ans auparavant, affirmaient carrément les autres. Ils précisaient : c’était une femme de Montréal, avec laquelle il n’avait vécu que quelques semaines, lorsqu’il avait travaillé aux munitions, en 1916. Ce sur quoi les rumeurs étaient d’accord était que l’enfant avait été élevé chez les Sœurs, comme un enfant sans parents, comme un bâtard.

Quoi qu’il en fût, Albert Langelier s’installa. Il prit possession de la maison dont il possédait la clef. Il prit possession des bâtiments, avec l’air assuré du propriétaire. Il prit possession de la ferme avec l’air hésitant de celui qui ne s’y entend guère. Et le jour même il ouvrit tout grand les fenêtres, même celles du salon.

Pendant quelques jours, les voisins furent inquiets et aimables. Dame ! Voyant la maison abandonnée, on ne s’était pas fait faute d’y aller de nuit « pour