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II


Ô pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui tu mourus, enfant, par un fleuve emporté !
— C’est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté ;

C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure,
À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits ;
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ;

C’est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d’enfant, trop humain et trop doux ;
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
— Et l’Infini terrible effara ton œil bleu !

III


— Et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.

15 mai 1870.