En cherchant, je revois de lui une autre expression : ce sourire d’une navrante et sensible finesse qui dissimulait un air d’affliction et de fatigue assez semblable à celui que prêtent à Marcel Proust ses derniers portraits. Si l’on a fréquemment rapproché ces deux hommes, c’était, je pense, moins à cause de la parenté, assez lointaine, de leurs œuvres, qu’à cause de leurs genres de vie semblables, de leurs santés également fragiles, de l’impression de mystère que donnaient leurs personnes, de leurs sensibilités pareillement subtiles et ombrageuses, de leurs lettres débordantes de gentillesse et de tendres nuances. Mais ces comparaisons, bien entendu, n’étaient que d’approximatifs et insuffisants points de repère que nous proposions à ceux qui ne connaissaient pas encore Rilke, pour les inviter à le situer dès l’abord dans la région des affections profondes auxquelles on se livre sans réserves.
Et nous-mêmes, cependant, le connaissions-nous ? Ses nombreux voyages, ses amis lointains déployaient derrière lui un ciel, des perspectives qui sans cesse nous rappelaient notre ignorance. Parfois il nous semblait merveilleux, presque impossible, qu’il y eût au monde un homme dont chaque jour fût composé ainsi d’images