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visage ». Cette expérience, il semble bien que Rilke l’ait refaite pour son propre compte à travers l’œuvre de Rodin, et dès lors était né ce style incomparable où les mots les plus simples appellent à la surface des êtres leurs secrets les plus cachés, où la matière et l’âme et le mouvement, où tout se fait forme, et s’anime, et gravite sous nos yeux.

Poète, poietes, celui qui crée. Quelle est donc la tâche du poète sinon d’énoncer les objets et les êtres de telle sorte qu’ils existent à jamais ; de les créer avec la pure ferveur de l’artiste attentif aux lois profondes de la nature, sans autre ambition que de les voir s’incorporer d’eux-mêmes au grand rythme auquel ils doivent la vie.

Dans l’une des deux langues du pays d’origine de Rilke — celle qu’il n’écrit pas — on désigne la sculpture et la peinture par les mots « arts créateurs », parce que, me disait un peintre pragois, la peinture et la sculpture seules créent vraiment l’objet, tandis que le poète ne fait que le chanter, le louer, le commenter.

Je pense que Rilke se serait inscrit en faux contre cette conception de la poésie. Le cycle de son œuvre se referme — et là se mesure son étendue sans précédent —