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après cela, « qu’ils ne diminuent aucunement la liberté d’action » des ouvriers qui n’ont pas pu, pour une raison quelconque, inventer ou accumuler comme eux ? Comment peut-on dire qu’ils « ne leur causent aucun préjudice »[1] ?

Grâce au droit de tester qui assure la perpétuité de la propriété privée des machines, les ouvriers ne peuvent pas s’en servir gratuitement, et le dommage qu’elles leur causent est irrémédiable. Quand l’amoindrissement virtuel de leur activité dépasse une certaine limite, ils succombent dans une lutte trop inégale. Et eussent-ils possédé à leurs débuts les avances de vivres nécessaires, ils sont contraints de renoncer à leur indépendance et de s’employer dans les usines mêmes contre lesquelles ils ont lutté en vain. Le produit de leurs dix heures de travail (d’un travail dont la qualité est redevenue normale au point de vue social) recommence alors à représenter la valeur de dix heures d’efforts, mais il sont contraints d’en céder la plus grande partie au détenteur de l’instrument de production à la merci duquel ils se trouvent.

  1. Dans la patrie même de Spencer, l’histoire, surtout celle de la première moitié de ce siècle, est pleine du récit des souffrances ouvrières provoquées par l’introduction des machines. Elles ont causé des hécatombes de travailleurs indépendants et supprimé des classes sociales entières (les tisserands à la main ont disparu). Peut-on soutenir que, même dans ces cas, elles n’ont pas préjudicié aux ouvriers indépendants et diminué leur liberté d’action ?