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de leurs droits et perdent celle de leurs devoirs.

L’institution de l’héritage s’oppose à la loi darwinienne de la survie des plus aptes. Elle la renverse presque en donnant aux hommes nés riches, quelque grande que puisse être leur inaptitude naturelle, des avantages artificiels qui leur assurent la victoire, dans la lutte pour l’existence, sur les hommes nés pauvres. De là, une perte d’excellents individus qui pourrait être évitée, et qui conduit à une dégénérescence de l’espèce et à tous les maux qui en dérivent.

Notons ici une contradiction de Spencer. Après avoir soigneusement distingué la justice familiale (à chacun en raison inverse de ses mérites, c’est-à-dire protection des enfants d’autant plus grande qu’ils sont plus jeunes) de la justice d’État (à chacun selon ses œuvres), il prolonge le régime familial au-delà de ses limites naturelles et l’introduit véritablement dans le droit public en accordant que l’on puisse tester même en faveur des adultes. Car quand l’État assure aux héritiers désignés, à l’exclusion absolue des autres personnes, la libre disponibilité de certains capitaux et de certains instruments de production, il intervient expressément pour leur garantir, leur vie durant, un avoir entièrement indépendant de leurs mérites.

Nous voyons donc ici prôner à la fois la justice fondée exclusivement sur les lois biologiques qui favorisent la perpétuation de l’espèce et une des causes les plus efficaces de la dégénérescence de cette espèce.