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« Un des objets, dit-il, que j’eus la curiosité de visiter à Singapore, c’est le fumeur d’opium dans son extase ; c’est un spectacle effrayant, quoique au premier abord il soit moins repoussant que celui de l’homme ivre, rabaissé par ses vices au niveau de la brute. Cependant le sourire stupide et l’apathie léthargique du fumeur d’opium ont quelque chose de plus horrible que l’abrutissement de l’ivrogne. La pitié prend la place de tout autre sentiment, quand on voit les joues sans couleur et les yeux hagards de la victime, vaincue par l’effet tout-puissant du poison.

« Une rue, située au milieu de la ville, est complètement envahie par les boutiques destinées à la vente de l’opium ; et là, le soir, lorsque les labeurs du jour sont terminés, on voit une foule de malheureux Chinois accourir pour satisfaire leur abominable passion. Les chambres où ils s’assoient et fument sont entourées d’une sorte de canapés en bois, pourvus d’un dossier pour reposer la tête ; le plus souvent une pièce écartée et destinée au jeu fait partie de ces établissements. La pipe qui sert au fumeur est un roseau d’environ un pouce de diamètre, dont l’ouverture, communiquant avec le fourneau où brûle l’opium, n’est pas plus large qu’une tête d’épingle. La drogue se prépare avec une conserve parfumée ; il en faut très-peu pour charger une pipe qui ne produit pas plus d’une ou de deux bouffées, et la fumée s’aspire fortement dans les poumons comme si l’on fumait le houka (pipe à eau) de l’Inde. Pour un novice une ou deux pipes sont une dose suffisante, mais un habitué pourra fumer pendant des heures entières. À la tête de chaque canapé on trouve une petite lampe, car il faut mettre le feu à l’opium pendant que le fumeur aspire ; et comme il est assez difficile de remplir et d’allumer convenablement la pipe, il y a le plus souvent un domestique auprès du fumeur pour l’aider dans ces opérations délicates.

« Quelques jours de ce redoutable plaisir, surtout s’il est pris