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naissance publique rendait au grand philosophe ; mais il ne put y réussir. Voici à ce sujet une anecdote curieuse rapportée par les historiens chinois. Meng-tseu dit dans un chapitre de son ouvrage : « Si le prince regarde son ministre comme sa main et ses pieds, alors le ministre regarde son prince comme son âme et son cœur ; si le prince regarde son ministre comme un chien ou un cheval, alors le ministre regarde son prince comme un homme très-vulgaire ; si un prince regarde son ministre comme le chaume d’un champ moissonné, alors le ministre regarde son prince comme un bandit et un ennemi. » Il paraît que l’Empereur, se faisant lire les écrits de Meng-tseu, fut vivement irrité de ce passage :

— Ce n’est point ainsi, s’écria-t-il, que l’on doit parler des souverains. Celui qui leur a ainsi manqué n’est pas digne de partager les honneurs rendus au sage Confucius. Qu’on le dégrade et qu’on ôte sa tablette du temple des princes lettrés ; que nul de mes sujets ne soit assez hardi pour venir me faire des représentations à ce sujet, à moins qu’il ne soit assez courageux pour braver les flèches de mes gardes.

La désolation fut grande dans le peuple ; mais les mandarins lettrés, toujours prêts à résister aux caprices des souverains, ne se laissèrent pas intimider. L’un d’entre eux, nommé Thsian-Tang, qui occupait un poste important, écrivit un mémoire, dans lequel il suppliait l’Empereur de revenir sur sa décision. Puis il fit ses dernières dispositions, prépara son cercueil, et se rendit au palais.

— Je viens, dit-il aux gardes, présenter une requête en faveur de Meng-tseu ; portez-la à l’Empereur. Je sais, du reste, quels sont vos ordres : frappez.

Le courageux mandarin découvrit sa poitrine en disant ces paroles, et à l’instant même il reçut une flèche qui heureusement ne le tua pas. L’Empereur, après avoir lu le mémoire de Thsian-Tang, l’approuva ou feignit de l’approuver. Il fit panser la blessure