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en ce moment, car le peuple arrive en foule pour l’audience de l’Empereur ; mais demain, je l’espère, la vérité luira aux yeux de notre seigneur.

Le projet de Yu était fort simple et ne manquait pas d’originalité. L’Empereur mettrait en disgrâce un de ses plus vertueux conseillers. Ceux qui auraient le courage de le défendre, ceux qui seraient assez infâmes pour accabler un innocent, révéleraient ainsi, sans s’en douter, leurs bons ou leurs mauvais sentiments.

Le lendemain, vers la onzième heure du matin, Chun, entouré de ses neuf ministres, des principaux mandarins et des autres grands officiers du royaume, était assis près de la fenêtre de la salle d’audience, lorsqu’il vit passer sur la place publique un homme du peuple en état d’ivresse[1]. Ce spectacle hideux l’irrita :

— Encore ! s’écria-t-il ; j’ai pourtant menacé de la bastonnade tout homme qui se livrerait à de pareils excès. Mais je ne suis plus obéi, et mes ministres ne font pas respecter la loi. Les courtisans se regardèrent avec effroi et gardèrent le plus profond silence. L’Empereur reprit d’un ton bref :

— Où est le ministre surintendant de la musique ? Pourquoi n’est-il pas auprès de nous ?

— Koueï est malade, dit le premier ministre ; il n’a pu rester à l’audience de l’Empereur.

— Lui aussi ne remplit pas ses devoirs. Je l’ai mis à la tête d’un ministère important ; j’ai voulu qu’il enseignât la musique aux enfants des princes et des grands, mais il ne tient pas compte de mes ordres, et les enfants n’apprennent rien.

— Koueï est cependant fort savant et très-habile sur les instruments, dit Tchoui, l’intendant des travaux publics.

  1. La boisson enivrante des anciens Chinois n’était pas le jus du raisin, mais un extrait fermenté de riz.