Page:Richomme - Contes chinois, précédés d'une Esquisse pittoresque de la Chine, 1844.pdf/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

douceur et l’équité de leur gouvernement. Je vous nomme premier ministre. Allez, et rétablissez l’ordre dans l’Empire. »

Lieou ne voyait rien, n’entendait rien. Il s’inclina machinalement devant l’Empereur et suivit, sans mot dire, les grands dignitaires, qui le conduisirent dans un appartement magnifique et se retirèrent en lui faisant les plus humbles salutations. Resté seul, il se tâta les membres pour se persuader qu’il était bien éveillé, et après avoir vainement cherché à comprendre la singulière aventure qui lui arrivait, il se jeta sur son lit, la tête brûlante et le corps brisé de fatigue.

« C’est étonnant, dit-il en s’endormant ; je n’ai pourtant pas bu aujourd’hui de samshou » (liqueur spiritueuse que les Chinois distillent du riz).

Lorsqu’à son réveil le pauvre pêcheur se vit-dans une chambre tendue de soie et ornée de peintures précieuses, lorsqu’il jeta les yeux sur ses riches vêtements, son étonnement redoubla. Il courut à la porte et vit dans le vestibule tous les grands de l’Empire qui s’inclinèrent avec respect devant lui.

— Ce n’est donc pas un rêve ! s’écria-t-il.

— Le premier ministre est admis à se présenter devant l’Empereur, dit un mandarin. Nous, ses collègues, nous l’attendons.

Le conseil s’assembla et délibéra sur les moyens de rendre au pays le calme et la prospérité. Lieou, qui ne manquait pas d’une certaine instruction et qui avait surtout beaucoup de bon sens, n’entendait qu’avec indignation les phrases ambiguës de ses collègues qui cherchaient à cacher la misère de l’État ou se rejetaient l’un sur l’autre la responsabilité d’une mauvaise administration. Homme du peuple, gagnant sa vie par son travail, le pauvre pêcheur ne put supporter les mensonges de ministres incapables et corrompus, et l’Empereur lui ayant demandé son avis, il dessina d’une manière énergique le tableau sombre, mais véritable,