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— Oui, c’est moi, répond Lieou, mais d’un ton mécontent ; que me voulez-vous ?

Le personnage qui, la veille, avait pris l’adresse du pauvre pécheur, le salue fort poliment sans rien dire, et la gondole s’éloigne à force de rames.

Pour le coup, la patience de Lieou était mise à bout ; il éclata en injures et en menaces, et il déclarait à ses voisins qu’il allait se plaindre au mandarin du quartier, lorsque la malencontreuse gondole reparut au bout du canal. Derrière elle venaient deux barques ornées avec magnificence et portant les couleurs impériales. Des mandarins de première classe étaient dans les embarcations qui s’arrêtèrent devant la boutique du marchand de poissons, à la grande stupéfaction du propriétaire et de ses voisins. Mais l’étonnement redoubla lorsqu’on vit les mandarins faire le kow-tow[1] devant le petit bossu ; puis le chef de la compagnie, après lui avoir présenté ses très-humbles chin-chin (compliments), l’engagea à le suivre :

— Et où donc ? dit Lieou.

— Au palais impérial.

En vain le pêcheur demandait des explications, prétendait qu’il y avait méprise, se plaignait d’être le jouet d’une mauvaise plaisanterie ; sur un signe des mandarins, quelques officiers subalternes le déshabillèrent de son vêtement de toile et le revêtirent d’un riche costume. Sa toilette terminée, on le conduisit jusqu’à l’une des grandes barques impériales avec des égards infinis, et le cortège s’éloigna, laissant tous les spectateurs livrés aux suppositions les plus fabuleuses.

Pendant que Lieou se dirige vers le palais avec ses silencieux

  1. C’est le salut adressé par l’inférieur au supérieur ; on se met à genoux et on frappe le sol avec la tête.