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pression de l’esclavage s’est effectuée sans effort, et elle a si bien passé dans les mœurs que nous avons quelque peine à comprendre qu’en 1860 il y avait, dans le monde soi-disant civilisé, cent millions d’esclaves.

La torture dans les procédures judiciaires paraît bien démodée ; mais, il y a un siècle et demi, elle était très correctement appliquée. Or qu’est-ce qu’un siècle et demi dans l’histoire d’une société ? Rien assurément. Cette époque est très voisine de la nôtre. Mon grand-père m’a raconté qu’on lui avait parlé souvent des fêtes du mariage de Louis xvi, c’est-à-dire d’une époque où on torturait honnêtement les criminels, ou même les prévenus.

Les châtiments corporels ont disparu dans les écoles ; mais y a-t-il longtemps ? Il y a quelques années à peine, ils étaient appliqués dans l’armée anglaise ; et je crois bien que, dans l’armée russe, on les pratique encore.

Nous admettons maintenant comme principe fondamental l’égalité des droits civiques et le suffrage universel ; la supposition d’une lettre de cachet, ou d’un gouvernement irresponsable, nous paraît inepte ; mais c’est d’un siècle à peine que date pareille conception des droits politiques de chaque citoyen. Bien plus, il est encore des pays, à demi-civilisés, et à certains égards aussi civilisés que nous, la Russie par exemple, où la notion des droits du citoyen n’existe pas. Il n’a pas fallu cinquante ans pour que l’Europe entière, sauf la Russie, ait admis les principes de notre Révolution, qui a changé de fond en comble les bases du droit politique.

Donc notre état social et notre état politique ne dérivent pas d’une très ancienne succession d’efforts. Des changements réputés chimériques et absurdes se sont accomplis en peu d’années. Oui, peu d’années ont suffi pour établir notre société sur des bases qui nous paraissent inébranlables, et si solides, que nous sommes tentés de croire qu’elles ont été éternelles.

Si des formes sociales nous passons aux découvertes scientifiques, nous voyons aussi la rapidité presque vertigineuse des changements dans la conception du possible et de l’impossible.

On peut, sans crainte d’être taxé d’exagération, prétendre que tout ce qui est aujourd’hui si simple et si universellement accepté a été regardé comme absurde à une époque antérieure.

Franchir l’espace avec une vitesse de 130 kilomètres à l’heure ; savoir ce qui se dit, en ce moment même, aux antipodes ; prévoir les orages ; fixer les mouvements et les images ; pénétrer la composition chimique des astres les plus lointains ; étudier les animaux qui vivent