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MES PARADIS

Laissez-vous y porter, vos orgueils en offrandes,
Sur ses ailes de fort qu’il ouvre toutes grandes.
Oh ! quel monde je rêve, heureux, suave, exquis,
De tous ces conquérants et de tous ces conquis,
Sans autres lois entre eux que les lois naturelles
Qui font évoluer les étoiles entre elles
Grâce aux affinités d’atomes essaimant
Du fond de l’infini vers des centres d’aimant ;
Lois sans contrainte, lois dont la chaîne en délices
A pour subtils anneaux les volontés complices ;
Lois anarchiques, dont la chère autorité
Ne froisse d’aucun frein aucun cœur irrité,
Puisqu’elle est pour chacun celle-là qu’il préfère,
Puisqu’il fait, y cédant, ce qui lui plaît à faire.
Oh ! quel monde joyeux, léger, de bonne humeur,
Charmant, où le charmé peut être aussi charmeur,
Car le charme est divers et non tout dans le même,
Et si la fleur que j’ai veut que mon frère m’aime,
J’aime à mon tour en lui la fleur que je n’ai pas,
Et l’on se trouve l’un à l’autre des appas.
Un nain malicieux réjouit Cléopâtre ;
Shakespeare se délecte à la chanson du pâtre ;
Lorsque je désaltère un gueux et le repais,
C’est moi qui me nourris et m’abreuve de paix,
Et du bonheur qu’il prend le mien se réconforte.
Ô banquet mutuel, où tous ont de la sorte