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LES ÎLES D’OR

Il jouit de lui voir en main tous les atouts.
Ah ! se laisser gagner par lui, quoi de plus doux ?
Comme on trouve plaisir, loin d’y chercher rancune,
Qu’il ait toutes faveurs et qu’on n’en ait aucune,
Qu’il soit beau, qu’il soit fort, qu’il soit riche, qu’il soit
L’être supérieur-en-tout que l’on conçoit !
Et comme, à tant de fleurs s’il manque une fleurette,
Aux dons qu’il peut avoir on joint ceux qu’on lui prête,
Tellement on le veut comblé de tous les dons,
Tellement de soi-même on fait pleins abandons,
Pour qu’il soit bien l’idole à divine hypostase
Devant qui tout entier l’on s’abîme en extase !
Mais cet amour fondu dans le ravissement,
Où l’orgueil mort n’est plus qu’un encensoir fumant
D’encens et de cinname et de nard et de myrrhe,
Cet amour fier d’aimer un aimé qu’il admire,
Il n’est point l’apanage, ainsi que vous pensez,
Des sexes par le rut l’un vers l’autre poussés.
C’est du pareil Amour que s’exalte une foule,
Chaos de flots, remous, tumultueuse houle,
Dont le lac devient fleuve et trouve son courant
Quand d’un chef, incarnant un rêve, elle s’éprend.
Même, n’incarnant rien, souvent elle le sacre.
Même s’il la conduit au péril, au massacre,
À la gloire sans but, au combat sans profit,
Fût-ce au crime, qu’importe ! Elle l’aime. Il suffit.