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MES PARADIS

Ce faible, courageux, dur, dont le front ruisselle,
Pourquoi manque-t-il l’œuvre, y mettant tout son zèle,
L’œuvre où s’amuse la nonchalance du fort ?
Souvent tous les vouloirs tendus d’un long effort
Sont moins heureux que toi dans l’art où je m’escrime,
Hasard de verve au saut capricant de la rime :
Tel beau vers naît ainsi sans qu’on l’ait mérité.
Cette femme est splendide et bonne ; en vérité
C’est Aphrodite ensemble et la Vierge elle-même ;
Elle vaut d’être aimée, adorée ; elle m’aime ;
Je dois l’aimer ; et c’est cette autre, cœur mauvais,
Minois d’un sou, qui me déteste, à qui je vais.
Et tant d’actes pareils, d’injustice accomplie,
Monstrueuse, et sous quoi pourtant il faut qu’on plie,
Sous quoi, même, sans geindre on finit par plier,
Le poids quotidien s’en faisant familier,
Et le plus juste aussi devant bien s’y soumettre,
À ces iniquités dont il n’est point le maître.
Conclusion : jetez au rancart vos compas ;
La vie est ce qu’elle est et ne s’y règle pas ;
Pour que votre idéal au réel aboutisse
N’allez point vers ce pôle absurde, la Justice.
Oh ! sous quelles clameurs vont crouler nos repos,
Mon cœur, à laisser voir, même en discrets propos
Qui lui sont les parois d’une lampe d’argile,
La terrible clarté du futur Évangile !