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MES PARADIS

Car ceux qu’un mauvais sort exclut de l’héritage,
J’admets qu’ils ont le droit d’exiger le partage,
Et non en mendiants quêteurs de charités,
Mais en frères trahis, mais en déshérités
Qui par tous les moyens se font rendre justice :
Car ce n’est pas assez qu’aux gueux on compatisse,
Et je veux qu’à peser son destin et le leur
Le trop riche s’accuse et se juge un voleur :
Car s’il ne le dit pas, eux le disant, je trouve
Qu’ils disent vrai ; car s’ils le condamnent, j’approuve :
Car si de la parole ils vont à l’acte enfin,
Je n’en veux pas aux cœurs où comme un noir levain
L’exaspération de la haine fermente,
Et quand, rouge, en jaillit la révolte démente,
Une torche, un fusil, même un eustache au poing.
Contre le révolté je ne m’indigne point,
Mais loyal, comprenant qu’il ait la tête haute,
Moi j’ai la tête basse et dis : « C’est notre faute ! »
Oui, peuple, corps souffrant, âme aux obscurs instincts,
Jusque dans tes forfaits, fût-ce quand tu m’atteins,
Ce n’est jamais sur toi que je crie anathème.
Tu le vois, malfaiteur innocent, si je t’aime !
Ah ! c’est que j’en suis, moi, de ce peuple ! En mon sang
Tous mes aïeux passés le font toujours présent.
Quand je le plains si fort que l’on s’en effarouche,
C’est que tout son vieux fiel me remonte à la bouche.