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LES ÎLES D’OR

De quel front cet athée à l’esprit mécréant
Se donne-t-il pour un Démiurge créant,
Et vient-il, violeur et tueur de nos mères,
Ferveurs, Illusions, Fois, Extases, Chimères,
Nous offrir à leur place en objet d’oraison
La monstrueuse idole enfant de sa raison ?
Soit ! je n’ai point ces droits, ayant pris les contraires ;
Je n’ai même aucun droit ; pourtant, écoutez, frères !
Si j’ai bien ou mal fait, je n’en sais rien vraiment ;
Mais, tout ce que j’ai fait, je l’ai fait vous aimant ;
Mes bonnes volontés sont pleines et sincères ;
Car j’ai pitié de vous, de moi, de nos misères,
Une pitié qui va jusqu’au besoin fougueux
De boire sur la face en ténèbres des gueux
Les larmes qu’on y voit ruisseler lamentables ;
Car j’ai honte et remords que de toutes les tables,
On n’ait pas fait ainsi qu’au service divin
La Sainte Table où tous ont le pain et le vin,
Sans symbole à présent, sans mystique ironie,
Mais réels, mais donnant, quand on y communie,
Le vrai morceau de pain, le vrai verre de vin ;
Car j’estime que tout le reste sera vain
Tant qu’on rencontrera dans la famille humaine
Un seul être mourant de faim sur son domaine,
Le sol, conquête du genre humain tout entier,
Et dont par conséquent chaque homme est héritier ;