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LES ÎLES D’OR


Nous y voici, plus haut que le plus haut des cieux,
Hors du temps, hors de tout, dans l’extrême froidure
De la pensée, et c’est enfin délicieux.

Au fond du diamant de glace où l’on s’indure,
Il n’arrive plus rien du concret passager ;
Il ne s’y réfléchit que l’Abstrait seul qui dure.

On l’y voit, lorsque tout change, ne point changer ;
On y réduit le monde en équation claire
Et dont l’x apparaît facile à dégager ;

On tient le théorème ; on suit le corollaire ;
Et le Tout se révèle une sphère de Rien
Que trace au sein du vide un geste orbiculaire.

Quel vide ! Au prix de lui le vide aérien
Semble massif. Dans ces gouffres où je le lance,
Le Néant plane, spectre au vol nyctérien.

Ô ses ailes de glace, et d’ombre et de silence !
Comme on y dort bercé voluptueusement
Dans un hamac d’orgueil que soi-même on balance !