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MES PARADIS

Fuyons ! De l’air ! Du bruit ! Du mouvement ! La rue
Où la foule grouillante et hurlante se rue !
Dans cette vaste mer que je sois ballotté !
Je suis homme et veux prendre un bain d’humanité.
Ô délices ! Voici qu’aux flots drus de la houle,
Flot moi-même, je suis mêlé ; je vais ; je roule ;
Je plonge dans vos heurts tous mes muscles ravis,
Tourbillonnants remous de mes frères ; je vis.
Âcres sueurs des corps, souffles chauds des haleines,
Forts effluves des chairs que je palpe à mains pleines,
Odeurs de l’homme, en mes poumons inassouvis
Je veux vous boire jusqu’à l’ivresse : je vis.
À vivre en furieux votre fureur m’exhorte.
Je ne sais pas vers quoi nous allons de la sorte ;
Vous y courez, j’y cours ; flots par d’autres suivis,
Je suis des vôtres, moi votre frère ; je vis…
Hélas ! Dans le château de la Belle perverse
Je me suis trop soûlé du poison qu’elle verse !
Je ne puis m’en passer à présent, du poison.
J’ai besoin, quand j’agis, d’en savoir la raison.
Ah ! lequel d’entre vous, au milieu du vacarme,
Dressant quelque drapeau, me fournissant quelque arme,
Va m’indiquer le but où tend tout notre effort ?
Ah ! même le voulant, pourrait-il assez fort
Me le crier, parmi ce tumulte en tempête
Où le vent le plus fou soufflant dans sa trompette