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MES PARADIS

Mon corps fut dans tes mains l’épave que la houle
Sur des crocs de rocs roule.
Et mon cœur fut semblable aux neiges des sommets
Dont l’avalanche blanche en tas boueux s’écroule,
Quand j’ai sur le front des morts que j’aimais,
Avant qu’au linceul on les roule,
Mis le dernier baiser qu’ils ne rendront jamais.

De mon corps que tu tortures,
De mes muscles raidis d’atroces contractures,
De mes flancs que vous happez,
Épreintes, dents de feu, strangulantes ceintures,
Je ne t’en veux pas, monstre qui pâtures
Sur notre chair aux nerfs crispés.
Venez donc, souffrances futures !
Frappez encor, frappez !
Vos coups forgent le fer des vaillantes natures.
Aux glaives du vouloir qui sont inoccupés
La rouille met ses mouchetures ;
Et pour tant de combats, homme, où tu t’aventures,
Du torrent des douleurs, du lac des courbatures,
Ces glaives sortent mieux trempés.

Puis quel suave délice,
Quand, vaincu, le monstre se rend !
Ne plus sentir à ses flancs ce cilice