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LES ÎLES D’OR

Donc, entendu ! Petite et simple table ; mais
On se rattrape sur la qualité des mets.
La cuisine est aussi faite à la mode antique.
Ce n’est pas du néant soufflé que l’on mastique.
Le rôti n’est pas mis dans un four, au charbon
De terre ; on sait ce qu’il lui faut pour être bon ;
Devant un feu de bois à la braise en fournaise
Dans une rôtissoire il se dore à son aise.
Le pot-au-feu bouillotte à tout petits frissons.
Les ragoûts mijotés, fils des lentes cuissons,
Sont épais, onctueux, roux et parfumés d’herbes.
Déjà, rien que l’odeur et la couleur, superbes,
Disent à l’appétit des mots encourageants.
Nos légumes élus sont ceux des pauvres gens,
Pommes de terre, pois cassés, lentilles, fèves,
Choux, haricots de tous les tons, toutes les sèves,
Haricots rouges, blancs, nains, boulots, de Soissons,
Dont un triste estomac peut craindre les chansons,
Mais dont le nôtre rit et point ne se ballonne.
Gloire à l’Égypte dont les temples à pylône
Faisaient de vous des dieux ayant pour compagnons
Ces autres Immortels, les sublimes oignons !
Ah ! ce n’est pas chez nous, fichtre ! qu’on les méprise !
Ni toi non plus, bel ail dont la nacre s’irise !
On ne t’épargne pas, ail, âme du gigot.
Quant au vin, que l’on boit à tire-larigot,