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Et, voulant le repos, ne puis-je à moins de frais
Chercher mes paradis plus près, toujours plus près ?
C’est lâche, oui, je le sais. Mais fais-tu le contraire,
Ô souffrant, fatigué, fourbu, rompu, mon frère,
Triste cadet du siècle en deuil qui va finir
Sans voir du passé mort renaître l’avenir ?
Ah ! combien notre rêve est sobre d’espérances !
Du pain rassis, de l’eau, des restes, même rances,
Quelques sous, par hasard la piécette d’argent
Pour se soûler, cela suffit à l’indigent.
Ainsi faut-il à nos fringales peu gourmandes.
Ce n’est plus le bonheur parfait que tu demandes,
Mais un bonheur quelconque et fait le plus souvent
De ne pas trop sentir que l’on meurt en vivant.
S’il nous revient parfois au cœur une bouffée
Des grands vœux d’autrefois, elle est vite étouffée.
À quoi bon ? Ce n’est plus la brise de printemps
Qui gonflerait ce soir nos drapeaux de vingt ans
Et les ferait claquer sur un rythme de fête ;
Ce serait un soupir de honte et de défaite.
Les cocardes d’antan ont fui de nos chapeaux,
Et dans les plis flétris de nos anciens drapeaux,
Que nous devions planter sur les terres promises,
Pour nos culs de vaincus nous taillons des chemises.
Ainsi, neutres, épris d’un idéal épais,
Nous réclamons, sans plus, un peu de morne paix,