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Hélas ! même ce vœu de nos récentes fièvres,
À peine il tremble encor, sourd-muet, sur tes lèvres.
Au sonneur de diane on a sonné son tour
De partir ; et depuis, personne sur la tour,
Pour nous donner par son auréole en couronne
La rose illusion de l’aube qu’il claironne.
L’âge d’or qu’on croyait voir poindre aux lointains bleus,
Avec l’autre âge d’or, l’ancien, le fabuleux,
S’évanouit déjà dans l’ombre légendaire.
Sa Grande-Ourse n’est plus qu’un vague lampadaire
Très pâle et que la nuit ronge. Nous essayons
D’en distinguer encor quelques furtifs rayons,
Une vibration de lumière qui tinte ;
Mais bientôt va sombrer l’ultime étoile éteinte.
À ce paradis-là, quand même, plus humain
Et plus proche, car on l’annonçait pour demain,
Au paradis vers qui l’on marche et l’on progresse,
Subsistent des dévots ravis. Leur allégresse,
Toute folle qu’elle est, m’est enviable aussi.
Mais quoi ! Si devant moi le ciel s’est rétréci,
Si je ne le vois plus, leur labarum polaire,
Si pour le retrouver et qu’il me rééclaire
Il faut encore, ainsi qu’ils le disent, marcher,
Gravir deux ou trois monts de rocher en rocher,
Et si je suis à bout, si je tombe à mi-côte,
Si j’ai sommeil, sommeil, sommeil, est-ce ma faute ?