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MES PARADIS

Monstre aux cent milliards de milliards de vies
Qui par des milliards d’autres seront suivies
Et qui toutes ont soif de boire en s’y jetant
L’immuable éternel dans le fugace instant.
Je suis tout cela, oui ! Que mon orgueil s’exalte !
Cette marche de tout, j’en vais être la halte.
Condensée en un point et résumée ainsi
S’absorbera la sphère au centre que voici.
Je suis tous les finis infinis que nous sommes.
Je suis tous mes aïeux, tous mes fils, tous les hommes,
Tous les êtres de qui mon être est l’élixir,
Tout leur pèlerinage aux chemins du désir,
Tous leurs matins d’espoirs, toutes leurs nuits de transes,
Toutes leurs voluptés et toutes leurs souffrances,
Tout ce qu’ils ont voulu sans le pouvoir jamais.
Je suis tous les instincts, conscients désormais,
De la brute, et de l’arbre, et de l’algue fantôme,
Et des eaux, et des gaz, et de l’informe atome,
Et de tout ce qui fut et de tout ce qui est
Dans l’océan sans bords de ce tout inquiet.
Je suis tous les esprits et toutes les matières,
La résurrection de tous les cimetières
Aux tombeaux devenus berceaux et recréant.
Je suis tout l’univers. Je suis tout le néant.
Hélas ! tout le néant, surtout. Car j’ai beau faire,
Pas plus ici qu’ailleurs ne s’absorbe la sphère