Page:Richepin - Mes paradis, 1894, 2e mille.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
DANS LES REMOUS


CI


Ah ! ce n’est pas deux moi qui sont en moi ! C’est dix,
Cent, mille, des milliers ! Venus de quels jadis,
À travers quels fourrés d’anciennes aventures,
Vers quels châteaux chantant d’espérances futures,
Lourds de quels souvenirs, riches de quels butins,
Poussés par quels espoirs qu’éveillent quels matins,
Courant à quel triomphe ou vers quelle déroute ?
Je ne sais ; mais ils sont, ils vivent, ils font route,
Et heurtés, pêle-mêle, à remous écumant,
Frénétiques, ils sont en marche éperdûment.
Ma volonté parfois se croit leur souveraine.
Illusion ! C’est leur tourbillon qui m’entraîne.
Je ne suis pas leur chef. Je ne suis qu’un d’entre eux.
Et cependant, au fond d’un fin fond ténébreux,
Par moments un éclair s’allume, où je me semble
Être l’accord final, l’âme de cet ensemble,
Une foule unanime avec ma voix pour voix.
Moments furtifs, après lesquels je me revois