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commença de se dissiper ma farouche ivresse philosophique. Ô miracle, en effet ! Nous avions chacun notre hypothèse sur l’origine et la fin des choses, et ces deux hypothèses se contredisaient, et cela ne nous empêchait pas de nous aimer toujours aussi fraternellement ! Toute mon intransigeance en fut mise à bas. Je n’en continuai pas moins à croire en mon hypothèse, puisque je suis organisé de telle façon que celle là seule me satisfait ; mais je dus admettre qu’une autre hypothèse pouvait mieux satisfaire d’autres esprits. Je me sentis devenir tolérant. Et plus je le devins, plus j’eus conscience d’être, en cela, logique avec ma négation de l’absolu. Du même coup, je compris combien la pensée est peu de chose au prix de l’amour, et je le compris de plus en plus par la suite, en constatant que nos intelligences se dissociaient chaque jour davantage, jusqu’à devenir antipodes, sans que nos cœurs eussent un instant cessé de battre à l’unisson. Et ce me fut une lueur vers quoi je m’orientai à la recherche de mes paradis. Tu la verras grandir de page en page en avançant dans le livre.

Je ne veux pas l’expliquer ici, ce livre, comme j’essayai d’expliquer les Blasphèmes par la lettre préliminaire où je te les présentais. Je me doutais bien, alors déjà, de l’inutile peine qu’on se donne à