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LES MORTS BIZARRES

gaieté aussi fut notée comme un bon point ; car elle était un encouragement pour tout le monde. Bref, au bout de la première année, les numéros 377 et 378, quoique condamnés politiques, furent admis à passer dans la seconde classe.

Ils allaient avoir une portion de champ à cultiver, dans une sorte de petit faubourg, situé non loin de Port-de-France, et placé sous la surveillance de l’adjudant Barbellez.

C’était un ancien marin, vieux dur à cuire, qui menait brutalement les gens, mais qui était mené lui-même par sa fille Jeanne.

La petite, comme il l’appelait, avait été élevée chez une tante à Paris, et le vieux l’avait fait venir auprès de lui à la mort de la parente. Il avait maintenant une position fixe ; il espérait bien avant peu changer son épaulette d’argent à filet ronge pour l’épaulette d’officier ; et, comme il n’avait plus de famille en France, il voulait s’établir définitivement à Port-de-France pour y faire fructifier sa future pension de retraite.

Quant à la petite, on oublierait sans doute que son père avait été argousin, et elle finirait par se marier avec quelque subrécargue de marine marchande ou quelque colon enrichi.

En attendant, elle était la providence des déportés, pour qui elle adoucissait autant que possible la dureté de son père. Elle était aimée de tout le monde. C’était d’ailleurs une belle grande fille, déjà femme par l’âge, car elle comptait près de vingt-cinq ans, mais encore enfant par la gaieté du caractère. Blonde et svelte,