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LE DISSÉQUÉ

Quand il fut près de la porte, il se retourna lentement. Il avait l’air d’avoir oublié quelque chose.

— Ah ! fit-il tout à coup, je me rappelle. Je voulais vous dire de ne plus me parler de cela, n’est-ce pas ?

Il n’avait pas besoin de me faire cette recommandation. Depuis ce jour, je l’aurais plutôt détourné d’un tel sujet que de l’y entraîner. Nous nous contentions donc de parler d’art et de poésie. D’ailleurs il se montrait moins familier, semblait gêné avec moi, et me laissait souvent disserter tout seul. Peu à peu son silence devint même une sorte de refus. Je sentis que je l’importunais, et nous redevînmes des étrangers l’un pour l’autre.

Il se remit dans son coin, en tournant le dos à la salle. Je me rapprochai des ouvriers, dont la causerie accompagnait seule maintenant le bruit des cinq maigres repas.

Environ huit jours après notre séparation définitive, arriva la fin de la Commune.

Le mercredi 24 mai, j’entrai dans la crèmerie, l’après-midi, chassé de chez moi par la bataille. Je n’avais rien mangé depuis la veille, et je me fis servir à déjeuner. Dans les rues avoisinantes, à cinq minutes tout au plus, la lutte continuait. On entendait les coups de fusil claquer comme des coups de fouet dans une chambre étouffée. Le bruit se rapprochait par moments, puis s’éloignait.

Le quincaillier arriva quelques instants après moi.

— Je viens chez vous, patron, dit-il. Moi j’ai fermé