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LE DISSÉQUÉ

liés. Tous les soirs nous causions pendant une bonne heure. Par un hasard agréable, nos idées étaient pareilles sur bien des points, en art et en philosophie. Mais, autant il se livrait en parlant de vers, autant il semblait se tenir clos et réservé en discutant certains grands problèmes philosophiques. Pourtant je voyais bien qu’il était matérialiste ; je sentais qu’il était arrivé aux dernières conclusions du système. Pourquoi répugnait-il à exposer clairement son opinion, qu’il devait certainement avoir corroborée de sa science physiologique et de ses études médicales ? Deux ou trois fois, je le poussai assez vivement sur la question ; il se dérobait toujours. Enfin je lui demandai crûment un beau soir pourquoi il ne me parlait jamais médecine, et n’osait pas en quelque sorte descendre au fond de son athéisme.

— Je ne vous parle pas médecine, répondit-il, parce que vous n’êtes point médecin, parce que l’étalage d’une science devant quelqu’un qui ne la possède pas ressemble à du charlatanisme.

— Je ne suis pas médecin, il est vrai ; mais je ne suis pas non plus un ignorant dans votre science. Mon père est médecin, et j’ai étudié avec lui. Vous pouvez donc être sûr que je vous écouterai très-sincèrement et sans arrière-pensée.

Comme il se taisait et ne paraissait pas, malgré ma réponse, plus disposé à s’ouvrir, je lui fis entendre que je soupçonnais quelque mauvaise cause à sa réserve et que sans doute il n’avait pas assez confiance en moi.