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LE DISSÉQUÉ

......Pour se purger des cent corruptions
Que la vie et la mort versent en ses sillons,
Pour refondre et pétrir le cadavre et l’ordure,
Et dans un moule neuf couler la pourriture,
Pour semer dans ses flancs cet effroyable engrais
Et le vomir au ciel en robustes forêts,
Mieux que des grands lions et des aigles superbes,
La Nature se sert du peuple obscur des herbes.
Durs ongles du jaguar, crocs aiguisés du loup,
Corbeaux, dont le bec droit s’enfonce comme un clou,
Tenailles des vautours, vous êtes moins terribles
Que cette légion d’ouvriers invisibles !
Mâchant les nerfs, sciant les os gélatineux,
Rongeant des intestins les innombrables nœuds,
Vermine de la mort, ils travaillent à boire
Du hideux sang figé la fange flasque et noire.
Et voici qu’à la place où les os ruinés
Souillaient de leur odeur les champs empoisonnés,
Déborde à flots pressés une herbe drue et verte,
Rougit superbement quelque fleur grande ouverte,
Fleurs et gazons éclos de ces sucs empestés
Que les fossoyeurs nains à la terre ont portés.
Pour épurer le ciel, pour nettoyer le monde,
Et changer en parfums la pourriture immonde,
Pour mêler à la sève ardente de ton sein
D’un corps décomposé l’écoulement malsain,
Pour nourrir de ces chairs liquides et puantes
Un arbre aux bras noueux, aux racines géantes,
Pour dresser dans l’azur son front de fleurs couvert,
Nature, il te suffit d’une mouche ou d’un ver !

— Eh bien, fit le patron, qu’en pensez-vous ? Êtes-vous de l’avis de ma femme ?

— Certainement. Ces vers-là sont très-curieux. Monsieur Féru n’est évidemment pas le premier venu. Je voudrais bien le connaître davantage.

En ce moment, sept heures et demie sonnaient, et