Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
LES MORTS BIZARRES

possible qu’il leur soit arrivé malheur ! Quoi ? quel malheur ? Et il cria :

— Hé ! Jean ! Jean Pioux ! Mademoiselle Jeanne !

L’écho lui répondit ironiquement.

— Seraient-ils partis ? Oh ! ce n’est pas possible. Partis ! Eux partis ! Allons donc ! Ce ne sont pas des lâches. Mais alors, alors c’est qu’ils sont morts. Oh ! non. Et puis, morts sans moi ! Ah ! s’ils sont morts, je me tuerai aussi.

En ce moment, il alluma une torche qui éclaira la grotte. À sa lueur rougeâtre et fumeuse, Marius aperçut les trois corps étendus contre la muraille.

— Ah ! s’écria-t-il sourdement. Ils sont morts ! Mais qui donc est mort avec eux ? Il y a eu une bataille sans doute, et je n’étais pas là ! Misérable ! lâche ! il faut que je meure ! Je veux être avec eux !

Le premier cadavre qui était sur le chemin de Marius le fit reculer d’horreur. C’était celui de Barbellez, dont le crâne et la figure ne formaient plus qu’une boue de chair, d’os et de cervelle. Au costume, Marius reconnut l’adjudant, et il devina ainsi tout ce qui s’était passé.

Plus loin étaient Jean et Jeanne, encore dans les bras l’un de l’autre, la tête de Jean reposant sur le sein de Jeanne.

Marius s’agenouilla lentement auprès d’eux. Les corps n’étaient pas encore froids ; mais ils avaient déjà cette inertie à la fois molle et rigide qui caractérise la mort. Marius comprit qu’il n’y avait plus d’espoir. Il se pencha vers Jeanne et lui baisa le front. Il