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LA UHLANE

— Tonnerre de Dieu ! nous dit-il, est-ce que cela ne vous fait rien à vous, d’entendre dire comme cela qu’il y a à deux heures d’ici des zurlans (il prononçait toujours ainsi le mot uhlans) ? Cela ne vous remue rien dans le ventre, de savoir que ces gueux-là se promènent en maîtres dans nos montagnes, où cinq hommes bien déterminés pourraient en tuer une brochette tous les jours ? Moi, je ne peux plus y tenir, il faut que j’y aille.

— Mais, capitaine, comment y aller ?

— Comment ? C’est si difficile ! Comme si nous n’avions pas joué plus d’un bon tour depuis six mois ! Comme si nous n’étions pas sortis de bien des bois autrement gardés que la Suisse ? Le jour où vous voudrez passer en France, moi je m’en charge.

— Oui, passer peut-être ; mais qu’est-ce que nous y ferons, en France, sans armes ?

— Sans armes ? Nous en prendrons là-bas, parbleu !

— Vous oubliez le traité, objecta un autre ; nous risquons de faire arriver malheur aux Suisses, si Manteuffel apprend qu’ils ont laissé rentrer des prisonniers en France.

— Allons, dit le capitaine, tout cela c’est des mauvaises raisons. Moi je veux aller tuer des Prussiens, je ne vois que cela. Vous ne voulez pas faire comme moi, c’est bon ! Dites-le tout de suite. J’irai bien tout seul ; je n’ai besoin de personne.

Naturellement, on se récria, et comme il fut impossible de faire changer d’avis au capitaine, il fallut