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LES MORTS BIZARRES

pas de souliers. Et d’ailleurs, les connaîtriez-vous, que la poudre vous serait parfaitement inutile. Les cors sont comme les dieux ; ils sont éternels ! Il n’y a que deux façons de les traiter : quand ils ne font pas de mal, on les prend par la taille, puisque ce sont des cors sages ; quand ils sont invétérés, on les goudronne, puisque ce sont de cors d’âge. Quant à vos dents, messieurs, vous êtes trop prudents et trop ardents pour que je vous mette dedans à propos de dents. Je vous les laverais bien ; mais pour cela je prendrais ma salive, et vous diriez qu’elle est préparée. Non, messieurs ! non, encore une fois, je ne veux pas vous tromper. Nous sommes, mon collègue et moi, de simples hercules et acrobates. Nous avons obtenu l’approbation de plusieurs empereurs, potentats, princes et autres, et même de monsieur le maire. Et nous allons continuer et varier la représentation par un travail nouveau, extraordinaire, qui n’a jamais été fait, ni entendu, ni vu ni connu je t’embrouille, à preuve que nous sommes engagés, mon collègue et moi…

— Tu n’as pas fini de jaspiner ? interrompit Jean Pioux. Quelle jacasse !

— Et allez donc la musique ! continua Marius.

En même temps il se colla contre Jean, se jeta à quatre pattes et prit autant qu’il est possible la forme d’un orgue de barbarie dont son avant-bras représentait la manivelle. Jean souleva le vieux, le fit asseoir sur ses épaules, puis il empoigna le bras de Marius et le fit pivoter autour de l’épaule.

L’orgue se mit à jouer.