Page:Richepin - Les Morts bizarres, 1876.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
UNE HISTOIRE DE L’AUTRE MONDE

qui passe, tout ce qui vogue, la mousse marine à la longue chevelure frisée, l’algue semblable à une lanière de cuir vert sombre, les galets polis par le frottement perpétuel et doux de la vague, les coquillages vides qui s’effritent peu à peu comme des maisons qui tombent en ruines, tous les mille débris, toutes les choses sans nom et sans nombre qui forment cette vase sans fond de la mer, sable et limon, masse énorme que parfois l’ouragan vient réveiller de son sommeil, arracher à son lit, et qui roule alors en remous dans les flots, comme la poussière monte en tourbillons dans le vent d’orage. De toute cette substance retenue au passage, le banc de corail se couvre, s’emplit, bouche ses trous. Et ainsi se forme une île, qui a les madrépores pour carcasse, et pour chair la lie épaisse et molle qui flotte dans la grande coupe de la mer.

L’île volcanique n’est point ainsi faite lentement. Elle naît d’un coup, fille du feu. La lave intérieure s’est trouvée à l’étroit, elle gonfle de sa vapeur la croûte solide qui sert de couvercle au vase où elle bout ; et ce couvercle qui est le fond de la mer, forme une montagne qui en dépasse la surface. Là, il crève en volcan ; ou bien toute la masse de feu se solidifie en granit. Voilà une île.

Or, il arrive souvent que sur cette croûte de terre gonflée par le volcan était bâti tout un monde de madrépores. Et ainsi ce banc de corail, fait pour arriver à fleur d’eau, est porté en l’air comme une colline. Les récifs deviennent rochers.