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LES MORTS BIZARRES

Dix heures sonnaient. Extinction des feux ! Le clairon sonne du blockhaus de Port-de-France, on lui répond de la rade. La dernière note traîne en vibrant dans la nuit. Plus une lumière dans la ville, excepté aux corps de garde, dont les fenêtres rouges semblent des yeux qui guettent.

La case des numéros 377 et 378 est ensevelie dans un profond silence.

On y remue pourtant, et on n’y dort pas. Mais tout se fait sans bruit. Marius est en train d’assujettir au dos de Jean Pioux un sac assez long et garni de biscuit, de riz et de gourganes. Lui-même porte un sac moins gros, garni aussi de vivres. Au-dessus, presque derrière la tête, est un paquet enveloppé de toile goudronnée : c’est du tabac. Enfin, sur son bonnet de laine, en haut de la tête, est liée une petite boîte en fer-blanc, fermée à la cire, et qui contient des allumettes. Là-haut est ainsi placé tout ce qui ne doit pas être mouillé. En outre, ils ont chacun une gourde d’eau-de-vie pendue à un flanc, une paire de souliers de rechange pendue à l’autre, un bon grand couteau dans la poche droite, et leur pipe dans la gauche.

À onze heures moins quelques minutes, la porte s’entrebâilla ; une ombre mince et fluette passa la première, à plat ventre ; une autre plus grosse la suivit. Ces deux animaux étranges rampèrent ainsi jusqu’au marais, écartèrent doucement les lentilles d’eau, et sans bruit, sans effort, se laissèrent lentement glisser sous les herbes noires. Deux têtes apparaissaient mêlées aux grosses touffes de lemna ; ces deux têtes