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LES MORTS BIZARRES

Du côté des terres, c’est-à-dire de l’autre côté de ce marais, se dressait une masse obscure, épais fourré en forme de dôme, d’où s’échappait une rivière. Le courant venait mourir avec des clapotements clairs sur la surface lisse des plantes, qui étaient comme les écailles du marais. Ce bruit, sortant de cette nuit, faisait penser à quelque chanson étrange, balbutiée par une gueule d’ombre.

Le dôme était formé de buissons entrelacés, de lianes grimpantes, d’arbres touffus, de mangliers, de palétuviers et de carollias. Il y avait là comme un amas de verdure, d’où se détachait une longue et large bande de bois sombres remontant vers l’intérieur de l’île. Cela semblait un fleuve d’arbres, dont les flots se seraient accumulés au bas d’une pente. En suivant jusqu’à l’horizon le cours de cette forêt, le regard se posait sur le fond même du tableau, où s’estompait vaguement dans l’azur gris du ciel la silhouette déchiquetée des montagnes.

Tout cela apparaissait dans cette lumière claire-obscure du soir, à travers ce voile vaporeux du crépuscule, qui rehausse de teintes vigoureuses les masses sombres et qui enveloppe les contours d’une sorte de buée tremblotante.

Or, tandis que la nuit tombait, que la brise de mer frôlait les joncs en sifflant, que la rivière gloussait et que les crapauds râlaient doucement sur les lentilles d’eau, Marius avait considéré toutes ces choses et avait réfléchi profondément.

C’est alors qu’il avait dit à Jean :