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LES CARESSES

C’est à toi que j’ai dû de connaître la vie.
Et je suis un ingrat, un oublieux. Pardon !
Oui, Paris a des torts. Mais comme il a du bon !
Rappelle-toi, mon cœur, rappelle-toi les choses,
Et que les jours passés ne furent point moroses,
Et que la Seine est verte et dorée au couchant,
Et que la grande ville aussi chante un doux chant
Plus profond que celui des oiseaux et des vagues.
Le soir, sa voix grondante a des murmures vagues
Qui roulent mollement dans les airs apaisés.
C’est un flux de soupirs, de désirs, de baisers,
Et cette voix étrange a sa mélancolie.
Puis, ta belle maîtresse eût été moins jolie
Si Paris n’eût rien fait pour lui donner ses goûts.
C’est lui qui façonnait ces robes, ces bijoux,
Ces chiffons, tous ces riens dont un amant raffole.
C’est lui dont l’art savant brillait sur ton idole.
Et les bons soirs d’hiver, te les rappelles-tu ?
Quand le ciel orageux et tout de noir vêtu
Couvre d’horreur les champs où la tristesse rôde,
Étiez-vous assez bien dans votre chambre chaude !
Il pouvait faire nuit, et pleuvoir et tonner !
Paris autour de vous savait capitonner
Un boudoir plein de feu, de lumière et de joie.
Ce n’était pas un nid de feuilles, mais de soie.
Le bois flambait avec des éclats de gaîté.
En buvant à loisir une tasse de thé,
Vous lisiez de beaux vers sous la lampe fleurie ;
Vous causiez de ceci, de ça ; la causerie
Avait des dations de baisers ; et je crois